Que celui qui ne travaille pas ne mange pas ?

Posted by Natacha Odonnat on

« Que celui qui ne travaille pas ne mange pas. »

Cette phrase sortie de son contexte a longtemps été pour une jeune femme l’objet d’une certaine torture, l’amenant à se priver de nourriture.

Écrivaine, l’entourage de la jeune femme considérait son activité simplement comme un passe-temps et lui sommait sans cesse de se chercher un emploi comme si elle était un fardeau.  Au début, elle ne comprenait pas les réactions et commentaires des personnes lorsqu’elle disait être écrivaine. Avec le temps, elle a fini par comprendre, qu’à leurs yeux, elle était une parasite qui refusait de travailler. S’il était vrai qu’elle n’était l’employée de personne, était-elle oisive pour autant ? Elle écrivait et elle assurait des tâches invisibles : elle s’occupait de son logement et de ses enfants lorsqu’ils n’étaient pas à l’école, faisait les courses, s’occupait des tâches administratives et financières de la maisonnée etc. 

Il semble qu’à un moment elle se soit laissée atteindre par le poids des mots des autres et ait commencé à considérer elle-aussi qu’elle ne travaillait pas, qu’elle était inutile. Aussi, pour alléger les dépenses du ménage, elle décida de ne plus se nourrir pendant la journée. Elle ne mangeait plus qu’au souper lorsque son mari et ses enfants étaient présents. Bien entendu, n’ayant rien avalé de la journée, elle ne parvenait pas à engloutir grand chose le soir, elle qui jadis avait eu un si grand appétit.

Affamée, elle avait moins d’énergie, s’énervait plus facilement, était moins patiente avec les un.es et les autres. Son monde s’écroulait peu à peu et elle se sentait étouffer, incapable de répondre aux exigences de sa vie d’épouse, de mère, d’écrivaine.

Une nuit, elle fit un rêve étrange. Un vieil homme vint s’asseoir au bord de son lit. Ses longs cheveux et sa longue barbe étaient blancs comme neige. Il lui dit: « Il faut que tu manges. » Elle crut reconnaître celui à qui l’on a attribué la fameuse phrase qui la tourmentait: Paul de Tarse. En effet, Paul de Tarse, dans une lettre à une communauté chrétienne avait exprimé sa désapprobation face au comportement de frères qui refusaient de travailler pour des motifs spirituels. Lui même, malgré sa mission d’évangélisation, travaillait de ses propres mains: il fabriquait des tentes. Aussi, il avait écrit que celui qui ne travaillait pas ne devait pas manger. C’était oublié aussi que le tempérament de l’homme apparaissait dans ses écrits.

La jeune femme fut touchée par ce qu’elle pensait être une apparition. Si Paul de Tarse, son apôtre préféré voulait qu’elle mange, elle mangerait. Dès lors, elle recommença à manger les trois repas principaux et des collations. Néanmoins, il lui arrive encore d’oublier de manger, prise dans le tourbillon de la vie ou de ne pas se servir en quantité suffisante. Quand elle s’en rend compte, elle revoit son vieil homme au regard aimant l’exhortant à manger car le travail intellectuel est aussi du travail. Le cerveau consomme beaucoup d’énergie. Il faut le nourrir.

 

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